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« Ne faites jamais ni pleurer ni rire vos figures »
Filiger

« Pour la première fois, une exposition d’ensemble de l’œuvre de Charles FILIGER (il a toujours signé son nom d’un seul « l » dans ses productions) va être présentée au public. De tous les compagnons de Gauguin au Pouldu dans l’auberge de Marie Poupée, il est celui qui reste le plus énigmatique. Non seulement sa personnalité profonde est demeurée ignorée de ceux qui vécurent auprès de lui, mais la plupart de ses ouvrages gardent un caractère secret puisqu’il a presque toujours refusé de vendre à ses admirateurs. Je suis probablement le seul à avoir réussi actuellement à me procurer quelques renseignements sur lui ; encore dois-je avouer que je ne l’ai jamais vu. J’avais essayé, avant sa mort, de l’approcher à Plougastel-Daoulas où il était pensionnaire de Le Guellec. Ce Le Guellec qui avait été hôtelier puis secrétaire de mairie dans diverses communes bretonnes, l’emmenait avec ses meubles dans tous ses déplacements. Filiger sortait très peu et se refusait à recevoir des visites car il se méfiait de ceux qui se proposeraient de spéculer sur son talent. « Vous ne me donnez pas votre véritable identité – aurait-il déclaré à quelqu’un qui l’interrogeait- vous vous appelez Vollard et vous désirez vous emparer de mes tableaux.
Né à Thann, en Alsace en 1863, mort en 1928 à l’hôpital de Brest où il avait été transporté » de Plougastel, il est maintenant enterré à Plougastel dans le caveau de la famille Le Guellec où il a été le premier occupant, mais son nom ne figure pas sur le tombeau. Il avait connu Gauguin à l’atelier Colarossi et c’est en 1890 qu’il est venu rejoindre au Pouldu l’auteur de La Belle Angèle. Vivant en marge de la société, Filiger avait quitté la capitale dans des circonstances assez troubles car le mysticisme chez lui comme chez Verlaine n’excluait pas de singulières histoires de mœurs.
Chassé de Paris par « faulte d’argent » - m’a rapporté le peintre-graveur Paul-Émile Colin (illustrateur des Travaux et des Jours) – Filiger n’allait qu’à contre-cœur en Bretagne d’où il ne devait plus sortir ; il avait eu d’ailleurs une aventure qui avait failli lui couter la vie. On l’avait trouvé inanimé sur le pavé avec un coup de couteau dans la cuisse et une blessure à la main d’où le sang coulait en abondance ; l’artère palmaire avait été sectionnée. » Colin a séjourné au Pouldu avec Gauguin, Filiger et Meyer de Haan. Il m’a décrit leurs divertissements musicaux. « Gauguin prenait sa guitare, Filiger sa mandoline. De cette mandoline, Filiger jouait avec beaucoup de sentiment, mais c’était un son presque imperceptible ; il jouait pour lui ».
Filiger a été aidé financièrement par le comte Antoine de la Rochefoucauld, l’archonte de la Société des Rose-Croix où notre artiste a exposé. Filiger a complètement échappé à l’autorité de Gauguin. Émile Bernard l’affirme nettement tout en en revendiquant pas Filiger comme son disciple à lui. « Filiger ne se doit – a-t-il assuré – qu’aux Byzantins et aux images populaires de la Bretagne ». Ajoutons que Filiger se dot aussi aux Primitifs italiens car, dans une lettre à Remy de Gourmont, il se réclame des « immortels Duccio et Cimabue ».
Le seul article de critique d’art qu’ai écrit Alfred Jarry a été consacré par lui à la gloire de Filiger qu’avec De Gourmont, il fit entrer à la Revue L’Imagier [sic]. Reprenant les indications de Jarry qu’il salue comme un de ses précurseurs, André Breton a, dans La Clef des champs, désigné Filiger comme un des maîtres essentiels du Surréalisme, la doctrine qui laisse au rêve tout son pouvoir.
Il ne s’agit donc pas simplement ici de la révélation du mérite individuel d’un peintre ; ce à quoi cette manifestation nous invite à réfléchir, c’est sur les origines d’un mouvement qui occupe dans l’histoire de l’art, qu’on le veuille ou non, une place de première importance. »